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Une nouvelle de Nicole Faucon-Pellet

29 Juillet 2023 , Rédigé par Nicole Faucon-Pellet Publié dans #Nouveautés, #coup de coeur

Pour celles et ceux qui ne lisent pas l'hebdomadaire La Tribune de Montélimar, hebdomadaire de deux départements (Ardèche-Drôme), voici le texte intégral de ma nouvelle.

Merci à l'Hebdo de soutenir les écrivains de la région en proposant cette chronique estivale "Plumes d'été" et à l'association le Cercle des auteurs ardéchois.

Le trou de la serrure

C’est surtout le soir, un peu après le coucher du soleil qu’ils se retrouvent sous l’appentis aménagé pour le bois. Là, une vieille chaise recouverte de cousins, repose devant les bûches soigneusement rangées. Du petit bois d’allumage, vestige de la dernière taille des mûriers, sèche en attente de futurs feux de cheminée : compagne des longues soirées d’hiver. Dans ce petit coin de paradis, simplement recouvert de tôles, dallé de lauzes calcaires et ouvert aux quatre vents, elle a installé une gazinière pour mijoter ses ratatouilles ou frire ses aubergines. Elle n’a plus la force de s’occuper du potager, l’arrosoir pèse trop lourd pour ses articulations usées. Alors, elle descend au marché en empruntant la navette destinée aux personnes âgées.

Elle n’a plus qu’un carré où poussent quelques touffes de persil, un peu de ciboulette et deux pieds de basilic. Pour son plaisir : une plante de ricin, loin des regards des quelques passants curieux. Lorsque vient l’hiver, elle recueille les graines en prévision d’une prochaine plantation : peut-être la dernière de son existence.

Depuis qu’elle est veuve, elle apprécie à sa juste valeur les moments nourriciers de son existence : un peu de rêverie, quelques très rares visites, l’odeur de la pluie, les mésanges qui nichent et le circaète qui tournoie sur le vignoble environnant, une petite marche dans le village, l’occasion de remarquer l’absence de ses amies, ses amis, embarqués pour le grand voyage.

Mais, c’est surtout ce rendez-vous du soir, qu’elle attend avec impatience.

Un jour il a cessé de venir. Elle l’a attendu longtemps, les étoiles se sont allumées, la lune est apparue, elle s’est fait du mauvais sang. Elle a laissé la fenêtre de sa chambre ouverte, a cru entendre son pas.

Au bout d’une semaine d’absence, elle est partie en reconnaissance, interrogeant quelques vieilles, quelques vieux. Personne n’avait rien vu, rien entendu. Puis, une ancêtre a déclaré :

— Mais, au fond de la rue, il y a parfois la nuit des rassemblements un peu bruyants, dans la masure bien abîmée qui a la réputation d’être hantée…

Elle est rentrée à la maison, a refermé le portillon à clef. Son teint s’est altéré, son sourire a disparu. En perdant ce précieux moment de plaisir, elle a réalisé l’immensité de sa peine.

Alors, dans un dernier sursaut, elle a préparé une musette contenant une bouteille d’eau et quelques biscuits secs, un couteau, une lampe de poche. Elle a attendu que les grillons commencent leur concert, elle s’est assoupie, puis réveillée, elle est partie sous la protection de la pleine lune.  

Plusieurs chiens ont aboyé, elle s’est ratatinée dans un coin sombre, s’est redressé difficilement, les échines endolories elle a repris son chemin, trébuchant parfois sur un caillou.

Enfin, utilisant ses dernières forces, elle a deviné la silhouette de la cambuse, les quelques vieilleries rouillées abandonnées devant sa façade lugubre. Elle a enjambé des squelettes de vélos démantibulés en évitant un sommier à ressorts envahi de ronces tout en prenant garde à ne pas se blesser. Elle s’est rencognée à l’ombre d’un sureau quasiment centenaire, a patiemment attendu, collée contre l’écorce rugueuse de l’ancêtre, vérifiant qu’aucune présence ne rôdait. Rassemblant ses forces, elle a filé discrètement vers la porte, a  soulevé la poignée d’abord doucement puis de plus en plus fort.

— C’est fermé !

Elle avait tout prévu sauf ça !

Elle s’est baissée pour approcher son œil de la serrure. Elle a entendu des va-et-vient, un bruit d’objet déplacé, s’est persuadée qu’il s’agissait d’un rêve avant de glisser dans le sommeil, épuisée.

C’est la rosée du petit matin qui l’a réveillée.

Longtemps après que l’aube ait amorcé son réveil, les premiers remue-ménage sont montés, sonores : un tracteur en route vers les champs, une habitante hélant sa voisine. Personne n’a remarqué sa vieille carcasse devant la porte.

Alors, tout doucement, elle a roulé sur elle-même, s’est accroupie au prix d’un effort terrible pour accéder enfin au trou de la serrure. L’intérieur de la turne était maintenant suffisamment éclairé pour qu’elle le devine, couché sur une vieille couverture, profondément endormi. Son cœur s’est mis à battre la chamade, elle est retombée sur la terre battue en murmurant :

— Ainsi il voulait m’abandonner. Je n’aurai jamais dû regarder par le trou de la serrure.

Elle s’est éteinte. On a découvert son corps recroquevillé devant la porte, étreignant le corps d’un beau matou de gouttière tigré.

@Nicole Faucon-Pellet

Nicole Faucon-Pellet
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