Boubacar Boris Diop : Les Petits de la Guenon

29 Avril 2014 , Rédigé par Nicole Faucon-Pellet Publié dans #j'ai lu

Les Petits de la Guenon de Boubacar Boris Diop,

Navigant incessamment entre présent et passé, ce livre est déroutant, insaisissable, étrange, unique en son genre. C’est à la fois une fable et une confession intimiste.

Nguirane Faye ne veut pas mourir avant d’avoir consigné ses souvenirs pour son petit-fils Badou Tall, l’enfant de son fils, le centre de sa vie. Ayant l’impression qu’il est plus facile de se livrer par la plume que par la parole, le narrateur écrit 7 récits dans lesquels il livre toutes les vérités à Badou, même les plus amères.

La dépouille d’Assane Tall, le fils de Nguirane arrive à l’aéroport de Dakar. Badou refuse de se recueillir devant le corps de son père. Quand elle va si loin, la haine d’un fils pour son père n’est simplement plus supportable. Assane, un des plus grands footballeurs de l’équipe de Marseille, ce n’était pas rien ; pour les plus cupides il allait gagner de l’argent à n’en plus finir et chacun en attendait secrètement sa part. Si le foot est certes très populaire au Sénégal, la lutte avec frappe est le sport où se reflète le mieux l’âme de ce peuple qui le pratique depuis des temps immémoriaux.

L’action se déroule à Niarela : un quartier de Dakar. Les toubabs ont voulu garder pour eux tout seul la douceur de l’air marin. Alors, ils ont repoussé les indigènes vers le sud pour construire au Plateau des villas, des bureaux, des usines. Ils ne pouvaient pas toutefois les refouler trop loin, car ils avaient besoin d’eux pour faire la cuisine et le ménage ou être leurs employés et leurs ouvriers. Niarela est un peu la basse-cour du Plateau.

La prostituée Yacine Ndiaye, la veuve d’Assane, fait aussi le voyage avec son défunt époux, elle s’installe chez Nguirare avec ses deux enfants : Mbissine et Mbissane, dont personne ne peut dire s’ils sont viande ou poisson. Or, Assane a laissé sa première femme Bigué Samb au pays. Elle devait le rejoindre en France… Maintenant, elle nourrit contre son lui une haine qu’aucune langue humaine ne pourra jamais décrire.

Badou ne donne pas de nouvelles.

Nguirare croit l’entendre lui parler d’une voix âpre, l’exil sans doute, l‘exil avive toutes les douleurs. Il entend Badou lui dire :

— Si les mots sont si lourds sur ta langue, donne-leur des ailes, fais-en des oiseaux pareils à ceux qui planent dans le ciel.

Ouvrier à l’usine Air Liquide, Nguirare a dirigé des grèves très dures ; c’était un patriote qui se battait contre la soumission de son pays à la loi des étrangers. À l’aube de sa vie, il reçoit un signe : un chat plante son regard dans le sien et miaule deux fois. Alors, il part jusqu’à Mbering-Saaj, à environ deux cents kilomètres de la capitale, à la recherche de son aïeul Mame Ngor dont il apprend les misérables faits d’armes.

Détestée dans le quartier, Yacine a des amants. Elle se dresse devant le vieux narrateur, l’index pointé sur son vagin et lance dans un ton de défi glacial :

— Tu vois bien ceci Nguirane. Ceci est à moi et je le donne à qui je veux.

— Lève donc la tête et regarde bien ma viande, je la fais goûter à qui je veux.

Un mouvement d’humeur des commerçantes de Kimintang, le plus grand marché de la capitale dégénère en bain de sang ; le président Dibi-Bibi ordonne de tirer sur les manifestants. À ses côtés le commandant Zéro qui donne des conférences de presse avec sa kalachnikov et ses yeux méfiants derrière une cagoule beige. Ces politiciens véreux qui emprisonnent la démocratie hantent le récit du vieux Nguirane.

C’est l’exode. Tout le monde s’enfuit sauf Atou Seck qui reste seul dans le quartier.

— Même si tu meurs de soif, ne bois jamais l’eau des égouts. Car un jour la pluie tombera en abondance du ciel et alors tu ne seras pas bien fier de toi, se dit-il.

Une guenon l’observe, lui abandonne ses deux petits : Ninki le mâle et Nanka la femelle. Il devient leur prisonnier.

Nguirare a été l’un des premiers à remarquer l’arrivée d’un étranger de très haute taille, vêtu de haillons, au visage massif, au teint d’un noir mat et au crâne entièrement nu. Avec son odeur pestilentielle, ses boutons purulents, ses parties intimes exposées à l’air libre et qu’il gratte souvent énergiquement, ce n’est qu’un des fous errants si nombreux dans cette ville. Cet individu, c’est Ali Kaboye, qui commence par tuer Bolchoï, le chien du capitaine Baye Ndéné, un officier alcoolique qui commande tous les militaires du palais de Dour Diagne. Personne ne voit en Ali Kaboye ne serait-ce qu’un brouillon d’être humain. Pourtant il raconte des histoires, acquiert une certaine renommée dont les politiciens vont profiter. Gorge tranchée, son corps est jeté aux requins, mais Ali ressuscite et devient même l’ami intime de Daour Diagne.

Yacine s’apprête à rentrer en France lorsqu’elle s’aperçoit qu’elle a perdu son passeport. Bigué Samb qui est devenue son amie, l’emmène chez un féticheur du nom de Sinkoun Tiguidé Camara. Ce dernier exige dix feuilles de jujubier, trois noix de ditax, des racines d’un kàdd vieux de trois cents ans, une langue de perroquet enrobée de miel, cinq paires d’yeux de singe, des œufs d’autruche, des éclats de miroir, une touffe de cheveux d’une femme blonde, de l’herbe verte, des œufs de dinde pourris… en échange d’une nouvelle identité et d’un nouveau corps. Yacine s’appelle désormais Marie-Gabrielle Von Bolkowsky et n’a plus la couleur de la crasse. En échange, Camara lui demande un de ses enfants. Elle refuse, Mbissine et Mbissane se transforment alors en enfants singes que Bigué recueille. Le Malin, Cheytan, est passé par là.

Ali Kaboye attend patiemment le retour de Badou, pour lui donner les manuscrits enfouis sous le canari, de son grand-père qui vient de mourir.

Dans un perpétuel mouvement entre l’homme et le singe, entre hier et aujourd’hui, Boubacar Boris Diop m’a entrainée dans sa fantasmagorie, m’a appris beaucoup sur la vie au jour le jour au Sénégal.