"Le Président, la Marguerite et le Pot au Lait" de Marguerite Pierrel
Marguerite Pierrel : Le Président, la Marguerite et le Pot au Lait.
Je suis membre du comité de lecture de l’AEAP et ce livre m’est arrivé par la poste.
En tant que fille de paysan, le récit de Marguerite Lemercier m’a beaucoup touchée. C’est un témoignage bouleversant, relatant sans fioriture les aléas d’une éleveuse Vosgienne.
Ainée de 9 enfants, Marguerite se révolte contre son sort tout tracé : élever ses frères et sœurs… Devenue aide familiale rurale, elle épouse André Lemercier, lui aussi enfant de famille nombreuse.
En 1968, le couple achète La Goutte d’Orion, une grosse exploitation de 54 hectares, à Aillevillers. Engagée au CDJA, révoltée par les pratiques de la FNSEA, Marguerite travaille d’arrache pied pour élever ses vaches et ses 3 enfants. Vient la récession du cours de la viande et du lait, les manifestations paysannes pour obtenir des quantum. De 8000 agriculteurs en Haute-Saône, ils passent à 800 ! Les fromageries ferment leur porte, les écoles disparaissent, les campagnes se désertifient. Une épidémie de brucellose décime le troupeau de Marguerite et André. Arrivent les quotas laitiers mis en place par Michel Rocard, la prime de « reconversion de viande », la prime de « non commercialisation du lait ». Marguerite opte pour la prime de reconversion : 5 ans sans vendre du lait en subsistant grâce à la viande de boucherie. La vie reprend son cours jusqu’en 87 où la famille se retrouve sous le coup de la gestion des quotas laitiers : une pénalité de 160.000 francs pour surproduction … En effet, au moment du calcul des quotas, on retient comme années de référence celles pendant lesquelles les Lemercier ne livrèrent pas un litre de lait. Tout s’effondre.
La visite de François Mitterand est annoncée à Luxeuil-les-Bains. Marguerite enfile son anorak rouge et prépare sa banderole : « Sans référence laitière, je meurs. » Les hommes se défilent. Seule la femme de Chocho l’accompagne. Marguerite est molestée par la garde présidentielle. Mitterand reçoit cette « Perrette du vingtième siècle », promet son aide.
— Vous graciez bien les condamnés à mort, laissez moi la vie, on n’en peut plus, lui dit-elle au président de la république.
Le maire, « Marozelli ne se console pas de s’être fait voler la vedette par une paysanne, le jour où il recevait le plus haut personnage de l’État ! » note l’Humanité en date du 13 avril 1987.
Les trois quart des agriculteurs s’insurgent : une paysanne, une bonne femme, mais qu’est ce qu’elle fout là, elle ferait mieux d’être au cul des vaches et à ses casseroles …
La ferme est surveillée, Marguerite est suivie, Marozelli, le maire de Luxeuil-les-Bains refuse de la recevoir. Elle monte alors une opération « coup de poing » à la DDA, s’enchaîne au pied de l’escalier. Installée sur un ballot de paille, sa banderole porte : La DDA m’a mise sur la paille, j’y reste. Marguerite entame une grève de la faim. Son homme rentre à la ferme pour traire et jeter le lait … Pendant que Marguerite est reçue en préfecture, les forces de police expulsent manu militari ses collègues occupant la DDA et évacuent son campement. La fromagerie Grandperrin située à 2 kilomètres de la ferme des Lemercier manque de lait et importe d’Allemagne trois camions par semaine !
« Il y a trop de lait, il faut bien que certains agriculteurs cessent leur activité. Et puis, votre région est destinée à devenir une région boisée. Alors, nous pratiquons l’euthanasie. » explique un fonctionnaire.
La laiterie est finalement autorisée à ramasser le lait de la famille Lemercier ; le Crédit Agricole demande de sursoir aux poursuites et reporte les échéances. Pendant ce temps, des milliers de paysans disparaissent ; des produits industriels standardisés et insipides envahissent le marché.
En avril 87, la préfecture de Haute-Saône annonce qu’un groupe de techniciens va faire un diagnostic sur le potentiel de La Goutte d’Orion. Et elle ajoute : « il est hautement souhaitable que vous ne fassiez pas de publicité autour de cette décision, car elle serait de nature à rendre notre aide et notre action des plus difficiles. »
Un Hollandais dans le même cas, vient de gagner vient de gagner contre l’État au tribunal européen. Le maintien du tissu rural et du bien-être de l’humanité ne font pas partie de préoccupations des organismes professionnels. Produire tout, n’importe comment, n’importe où, n’importe quelle quantité : c’est la stratégie de la politique agricole de l’époque.
Christophe Dechavanne reçoit Marguerite dans Ciel mon mardi. Cette dernière fait du forcing au ministère de l’agriculture. Là, on écoute ses doléances, en lui montrant sur une carte de France, un bandeau qui traverse le pays des Ardennes au Massif-Central en passant par la Franche-Comté.
— Dans 20 ans il n’y aura plus aucune production laitière dans ces régions, commente un fonctionnaire.
Direction l’assemblée nationale et l’Office National Interprofessionnel du Lait où l’on écoute poliment.
La famille continue à mettre son lait à l’égout, n’a même pas le droit de le distribuer sur la voie publique : administrativement ce n’est pas possible ! Le gouvernement a donné des instructions très strictes : diminuer le production laitière en accord avec la CEE.
Les Lemercier louent alors des terres, ce qui permet à la commission mixte de donner un transfert de droit. En novembre, la tolérance autorisée par l’administration d’écouler sa production dans la fromagerie voisine prend fin.
Marguerite désespérée, s’échappe pour rencontrer François Guillaume le ministre de l’agriculture.
Marguerite conclut ainsi son récit : «1994 : Après 7 années de combat, le ciel devient plus bleu pour la ferme de la Goutte Orion. Mais les mauvaises habitudes sont prises. Plus rien ne sera comme avant. ».
Qu’est devenu cette Marguerite Lemercier, cette femme hors pair, cette pionnière, cette militante de la cause paysanne qui a œuvré pour défendre bec et ongle sa famille et sa ferme ?
J’aimerais avoir de ses nouvelles. Si vous me lisez Marguerite, faîtes moi un signe.