Xala de Sembène Ousmane

26 Janvier 2014 , Rédigé par Nicole Faucon-Pellet Publié dans #j'ai lu

Sembène Ousmane, Xala

La Badiène n’a rien négligé pour le conditionnement d’El Hadji Abdou Kader Bèye. Il épouse N’Goné une troisième femme. Cette jeunette a la saveur d’un fruit et la fraicheur que ses deux femmes ont perdue depuis longtemps.

Sa première épouse Renée, née à Béèr, Gorée en wolof, de confession chrétienne, s’est apostasiée par amour. Rebaptisée Adja Awa Astou, elle a six enfants. Sa fille Rama a beau déclarer « Je suis contre ce mariage. Un polygame n’est jamais un homme franc », El Hadji poursuit sa route contre vents et marées.

La deuxième épouse Oumi N’Doye est jalouse, envieuse et garde son homme plus que le lui permettent les règles de la polygamie.

Le quinquagénaire El Hadji a négocié avec ses deux épouses trente nuits à passer avec la troisième. Au cours de sa nuit de noce avec N’Goné, l‘homme ne peut pas honorer sa partenaire ! L’étalon faiblit. On lui a noué l’aiguillette ! En wofolf, il a le xala ! Autrement dit il est impuissant. On lui a jeté un sort !

Dès lors, il consulte les facc-katt les guérisseurs qui le badigeonne de safara un breuvage obtenu par lavage des versets du coran, le lave avec des onguents, lui demande d’égorger un coq rouge…

Oumi sait que pour avoir les faveurs de son homme, une épouse en compétition se d’avoir comme cible les deux centres vulnérables du mâle : le ventre et le sexe. Et aussi savoir se faire désirer ; être féminine avec un soupçon de pudeur. Et au lit, être sans gêne : la gêne n’enfante que les regrets. Fougueuse, avec des ardeurs insatiables, elle s’acharne sur le sexe de l’homme qui reste de marbre…

De marabouts en marabouts, El Hadji tente de se soigner. Son négoce en ressent le contrecoup. Son humeur fond comme « karité au soleil » au rythme de ses finances. Il s’endette, fait le trafic de bons de marchandises, de denrées alimentaires.

Le serigne Mada lui enlève le mauvais sort et le bougre retourne auprès de sa deuxième épouse pour des nuits chaudes. Ce que le marabout a enlevé, il peut le replanter. Et le chèque sans provision d’El Hadji n’étant pas à son goût, le serigne Mada remet le sort en place.

La petite N’Goné n’est toujours pas déflorée, Badiène, la trompetteuse, menace.

El Hadji est un homme fini.

C’est un mendiant qui lui a donné le xala, un homme qu’il avait volé, celui là même qui psalmodie toute da journée dans la rue. Le mendiant et ses amis crachent sur El Hadji nu et debout. Le bougre retrouve ses ardeurs en même temps qu’il perd tout.

Sachez qu’il y a le polygame citadin qui navigue de maison en maison, de villa en villa et ne se montre que leur soir pour le lit, par opposition au polygame rural où toutes les épouses et les enfants vivent dans la même concession. Le polygame citadin n’est qu’une source de financement quand il a du travail.

Xala est une fresque douce amère, tantôt très drôle, tantôt d’une affligeante désolation par ses traits culturels hélas encore vivaces.

Le polygame est présenté comme le dindon de la farce, la victime de ses dames et de la société. Mais, comme écrit l’auteur, on ne conseille pas à un borgne de fermer un œil !