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Sylvain Tesson, Sibérie chérie

20 Mai 2015 , Rédigé par Nicole Faucon-Pellet Publié dans #j'ai lu

Sibérie chérie de Sylvain Tesson,

Quand Sylvain Tesson est né, il y avait le rideau de fer. L’enfant de l’Ouest, attiré par l’autre côté du continent, gagne la taïga ; un bois n’a jamais refusé l’asile aux croquants, aux bandits, aux cœurs purs, aux résistants.

Au lieu de dérouler les raisons de son affection pour la profondeur slave, l’auteur voyageur préfère laisser les images exprimer leur vérité : les photos de Thomas Goisque et les peintures de Bertrand Miollis, avec qui il sillonne la Russie depuis des années.

Des grèves du Baïkal jusqu’au Caucase, des plaines du Riazan aux bois de Carélie, depuis la Léna jusqu’à la Bouriatie, de Moscou à Khabarovsk en passant par Oulan-Oudé, il chemine par la Yakoutie jusqu’à la mer d’Azov, admire les ours bruns et les rennes sauvages… Tesson est chez lui en Russie. Il reconnaît qu’il est vain de chercher à exposer les raisons de ses propres penchants.

Phrases claires et précises, profondes, brutes, poétiques, Sylvain Tesson livre ses émotions sans fioriture. Je marche à ses côtés, tandis qu’il égaille dans une clairière un troupeau de chevaux sauvages qui profitent de l’absence de l’homme pour vivre heureux. La taïga bourdonne. Chacun vaque à l’urgent : se reproduire, se dupliquer, s’apparier au plus vite avant que les froidures de l’hiver ne sonnent de nouveau le glas du rut.

Pour la halte, je construis un petit feu avec lui : c’est le meilleur moyen d’écarter les ours. Ce feu, c’est un cher petit ami qu’il peut faire jaillir de ses doigts chaque jour, un petit dieu bien vivant qui réchauffe l’âme, les saucisses et les mains.

Je l’écoute déclamer :

— Refuzniks de tous les pays, gagnez les bois ! Vous y trouverez consolation.

Le cri d’un corvidé, la visite des mésanges et la trace des lynx dissipent l’angoisse. En cas de mélancolie, il suffit de penser à ce beau principe de régénération : les arbres meurent, tombent et pourrissent. Et sur l’humus, qui est la mémoire de la forêt, d’autres arbres naissent et commencent pour un siècle ou deux leur ascension vers le ciel.

Il me raconte que dans la grande Ukraine et une partie de la Russie, il y a une tradition de peintres voyageurs, artistes itinérants qui cheminent en alternant les coups de pinceaux et les longues foulées. Il traînent derrière eux leur matériel de peinture serré dans une carriole, et sèment leurs œuvres sur la route. Et que les filles russes, kazakhes, tatares sont capables de jeûner pendant dix jours pour économiser de quoi acquérir un nouveau maquillage. Dans les territoires de feu l’Union, c’est sur l’anorexie des donzelles que l’Oréal a prospéré. Les demoiselles tirent des mines de matons. Quand les filles slavisées font la gueule, cela ne signifie pas qu’elles sont fâchées mais qu’elles sont jolies.

Je supporte le froid avec l’auteur : on ne grelotte pas par moins 40°, on souffre. Le froid est une lame qui fouaille la chair, s’attaque à un pied, un orteil, un lobe. Il se déplace et ferme ses mâchoires quand il trouve un morceau de choix.

Sa dernière volonté : être enterré sous un arbre. L’arbre poussera auprès de sa dernière cabane. Son corps alimentera la sève qui pulsera dans le tronc et peut-être qu’un oiseau posé sur une branche poussera un trille qui ravira un vagabond égaré en ces lieux et le conduira vers sa cabane qui sera toujours ouverte au visiteur, à condition bien sûr qu’il ne passe jamais personne…

Sibérie Chérie est un livre qui fait du bien. Comme les paroles apaisantes d’un frère.

la dernière cabane de Sylvain Tesson...

la dernière cabane de Sylvain Tesson...

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