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Porté Disparu d’Anne-Marie Afanassieff

29 Juillet 2014 , Rédigé par Nicole Faucon-Pellet Publié dans #j'ai lu

Porté Disparu d’Anne-Marie Afanassieff,

J’ai la fâcheuse tendance à garder en réserve les livres qui me sont offerts pour lire d’abord ceux de la médiathèque que je dois rendre rapidement. Ainsi ce Porté Disparu dormait sur mon étagère depuis mai ; ainsi j’avais un trésor qui m’attendait et je ne le savais pas.

Anne-Marie Afanassieff, l’auteur, provençale dans l’âme déclare : provocateur, le mistral se déchaînait avec fougue ; non seulement il fallait être obligé de sortir si l’on voulait fêter un Noël traditionnel mais, plus, il fallait être Provençal !

L’ange boufarèu, l’ange joufflu de la crèche qui bouffe dans sa trompette ; le félibre Placide Cappeau et son Minuit, chrétiens ; le cacho-fiò ; le tian ; les grattelons ; le phylloxéra de 1865 et l’immersion des plants pour combattre la maladie ; le caganis dernier enfant dans les familles du midi ; la bugado ; le radassier ou canapé paillé dont le nom vient des radasses, filles de joie attendant les clients sur un pareil canapé : autant de termes qui parleront aux gens du terroir.

Henri aime parcourir la campagne dans la jardinière de Papé, si bien qu’à huit ans, il parle aussi bien le provençal que le français ; ce pichot ouvre grand ses oreilles.

Ce diable de docteur Victor Daillan, non seulement mécréant et républicain, est aussi franc-maçon. Son fils François tombe dans l’Ouvèze ; sa mère Céleste ne comprend qu’avec son chapelet. François rêve de soigner en naviguant comme Pierre Loti, de découvrir d’autres continents, de voir vivre des peuplades inconnues et sa mère l’étouffe, le séquestre, l’étrangle. François part jeune. Victor alors déclare à sa femme Céleste :

— Ton aveuglement inculte m’accable. Tu es malade de ne lire que tes Évangiles, malade de détruire ta vie et celle de tes proches à cause de tes croyances pathologiques.

Pour assouvir les besoins que la nature d’un époux est en droit d’attendre alors que sa sainte femme se refuse à lui, Victor a une liaison avec Marie et une fille illégitime Jeanne, que Céleste nomme dans son incompréhension de chrétienne « la bâtarde ». Victor, assassiné par le biais d’un poison violent, meurt à son tour. Céleste ne supporte plus la solitude et demande à Rosa et Émile de venir habiter chez elle. Leur fils Henri accepte très mal ce déménagement ; heureusement son Papé Denis est là ; quand à sa sœur Fifine elle devient victime.

Très bien documentée, l’auteur offre à son lecteur tout un panorama historique : les grandes crises de la fin des années 1860 qui ont ravagé l’économie provençale ; la pébrine de la soie qui provoqua la chute du mûrier ; le phylloxéra que l’on combattait avec l’urine de vaches, les tisanes émollientes ou l’enterrement d’un crapaud vivant sous la souche ; l’alizarine artificielle qui remplace la garance ; la loi du 19 juillet 1905 qui voit les fenêtres superfétatoires se murer parce que l’État se trouve à l’affût de nouveaux impôts.  

Fifine est victime d’une phtisie galopante aggravée par le fait que  cette perverse de Céleste a contribué à son éducation et s’est substituée à sa mère ; la famille a déjà perdu deux enfants.

Henri Franquet épouse Émilie en 1908 ; il est bien au milieu des terres, il aime discuter avec les paysans comme le faisait avant lui son grand-père Denis à jamais regretté. De cette union Rose, Daniella vient au monde en 1912 ; un autre bébé s’annonce pour le début de l’année 1914 ; Rosa s’éteint alors que courent les rumeurs de guerre. Le cœur en déroute Henri part sur le front ; il n’avait jamais voyagé et se disait qu’il verrait au moins du pays. Sa seconde fille Joséphine dite Titi naît en octobre. En 1916, Émilie reçoit une lettre officielle annonçant qu’Henri est porté disparu lors de la grande bataille de Verdun. L’état civil et le livret de famille notent « Mort pour la France » ; Émilie prend le grand deuil pendant cinq ans, porte des pierres de jais montées sur platine, bijoux de deuil que les familles se passaient de façon ancestrale.

Le 15° corps d’armée composé uniquement de Provençaux se retrouve à Malancourt ; Henri tombe dans les tranchées. Il se croit mort, échappe ainsi aux videurs de tranchées que les gradés font boire démesurément pour les contraindre à liquider les blessés. Henri a offert un jour un paquet de gris à un Bavarois nommé Frank von Verclaux dont les ancêtres sont Orangeois ; ce même Frank, psychiatre de profession, lui sauve la vie et intitule l’épisode « L’homme qui ne fumait pas » dans son journal. Direction Sainte-Ménehould dans un dépôt de champagne dirigé par les parents de Frank. Cette impensable amitié entre les deux soldats apporte beaucoup à Henri qui découvre ses propres ressources, ne pense qu’à lui pour la première fois de sa vie, tandis qu’il se remet lentement. Ses blessures qui l’amènent à se cacher, à vivre clandestinement, lui offrent pour la première fois une véritable invitation à la décision personnelle, un laissez-passer vers la liberté. Henri mort pour sa famille, mort pour la France, risque la cour martiale. Se laissant porter par ses envies, il se rend à Tournai sur les bords de l’Escaut, lieu du départ du clan des Franquet pour le sacro saint pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Avant d’être pris, Frank fait un baptême à la bière à Henri sevré au Châteauneuf-du-Pape.  La lecture du journal de Frank est une peine incommensurable autant qu’une révélation pour Henri.

On en revient à Rose, qui a attendu son père toute sa vie. La maladie d’Alzheimer l’empêche de reconnaître Annie sa fille. Cette dernière décide d’aider au curetage spirituel de la vieille femme ayant avorté de ses propres mots. Après la mort de Rose, dans le calabert, Annie trouve un cahier caché dans les pages du Pèlerin : le journal de Rose.

Anne-Marie se livre, je pense, à une véritable introspection. Un très beau livre, bien écrit, bien documenté, venu du cœur, qui parlera aux Provençaux et aux lecteurs amateurs de saga familiale sentant le vrai. Un livre que j’ai envie de qualifier d’authentique.

J’ai une pensée pour mon grand-père Albert, blessé dans les tranchées de Verdun lui aussi.  

l’ange boufarèu

l’ange boufarèu

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