Le mépris de l’écrivain régionaliste
Être catalogué ainsi, ça sent le fumier, l’indigène en sabot qui n’est jamais « monté » à Paris, le gardien de chèvres, l’accent du Midi, l’odeur de lavande et le chant des cigales, bref le péquenot.
Un terme méprisable
Aux cafés littéraires de Montélimar, il y a quelques jours Yves Bichet affirmait en présentant L’Eté Contraire (Mercure de France) qui est en lice pour le Renaudot :
— Je ne suis surtout pas un écrivain régionaliste !
Alors que son dernier roman démarre à Vals-Les-Bains, sa maison de retraite et son casino, et se termine aux carrières de Saint-Restitut en passant par l’atelier d’un ferrailleur de Montélimar !
Jean Rouaud qui sera à Saint-Paul-Trois-Châteaux le 19 octobre prochain et qui a décroché le prix Goncourt en 1990 raconte dans Le Figaro :
— J'avais voulu le titrer Loire-Inférieure, mais Jérôme Lindon, (le patron des Éditions de Minuit), m'a dit que je risquais d'être catalogué comme un écrivain régionaliste. Alors on a opté pour Les Champs d'honneur.
Quelques indigènes en réchappent
Qui aurait l’idée de traiter Marie-Hélène Lafon d’écrivain régionaliste ?! Originaire du Cantal dont elle a fait le décor de la majorité de ses livres (publiés chez Buchet/Chastel) elle ne subit pas la discrimination. Sauf que à La Grande Librairie le mot Cantal a été censuré...
Et Christian Signol ? Échappant au couperet, ce quercynois est classé comme écrivain français.
Mettrait-on cette étiquette sur George Sand avec sa Petite Fadette ou sa Mare au Diable qui raconte le monde rural en Berry entre 1845 et 1853 ?
Dans son Gaspard des Montagnes, couronné par le grand prix du roman de l’Académie française, Henri Pourrat fait l’éloge de l’Auvergne. Il reçoit le Goncourt en 1941 pour Vent de Mars.
« Loin d’être le cadre étriqué d’un régionalisme folklorique, l’Auvergne est pour lui le lieu privilégié pour découvrir et comprendre la nature et l’esprit paysan, et par la-même atteindre l’universel » note Wikipédia.
Ainsi Pourrat a échappé à la pénalité.
Jean Giono dresse le dialogue entre l’homme et la nature avec Colline ou Le Hussard sur le toit, est-il pour autant un romancier du rustique !
En 1904, Frédéric Mistral reçoit le prix Nobel de littérature pour Mirèio ; en 1972 Jean Carrière décroche le Goncourt pour L’Épervier de Maheux : sont-ils des écrivains régionalistes ?
Être un écrivain
C’est être de nulle part, n’avoir aucune appartenance à une région, être noyé dans une masse qui parle la même langue, s’habille de la même manière, mange les mêmes hamburgers, écoute la même musique et regarde les mêmes films dont les médias font, toutes tendances confondues, l’apologie.
Je vis en Ardèche, pas à Paris. En pleine campagne, loin du fracas de la ville et de la foule, je n’ai pas la même nourriture, pas la même perception du monde. J’écris avec mon environnement, je vois mon village proche, j’entends les préoccupations des gens, je connais les distances d’un point à un autre, la solitude et la joie de la nature.
J’en ai marre
Du parisianisme culturel, du jacobinisme à tous les niveaux, du racisme à l’égard des ruraux, de la xénophobie envers les terroirs justes bons à prendre des vacances au vert, j’en ai assez d’être traitée d’écrivain régionaliste.
Avec la mondialisation, le péquin moyen se promène sous les tropiques, dans les bolongs du Sénégal, chez les peuples de la vallée de l’Omo en Éthiopie, chez les Indiens d’Amérique ou dans la baie d’Along et lit avec délectation les auteurs du cru sans jamais les traiter d’auteurs régionalistes.
Y-a-t-il deux poids et deux mesures ?
Ceux qui publient chez Grasset ou au Mercure de France ; les régionalistes qui publient chez Plumes d’Ardèche ou chez De Borée ?
D’une manière générale les livres dits de terroir sont le lowcost de la littérature.
C’est du racisme. À l’heure où l’homosexualité et le mariage mixte sont reconnus, à l’heure où partout on prône le respect et la tolérance, combien de temps encore ferons-nous partie des bannis ?
Une AOC pour la littérature de terroir
En octobre 2011, Le Parisien écrit : « Les écrivains régionaux trempent leur plume dans leur terre natale, mais leur notoriété auprès du public dépasse parfois les frontières de leur région. Ils ne sont pas des coteries parisiennes. On ne les voit pas dans les salons du restaurant Drouant à Paris pour la remise du prix Goncourt. Pourtant, ils vendent des centaines de milliers de romans chaque année et squattent les têtes de gondole des librairies françaises. On pourrait apposer la mention AOC (appellation d'origine contrôlée) ». Comme pour le picodon !
Les écrivains régionalistes ont également tenté, en vain, de lutter contre le centralisme intellectuel et la suprématie parisienne en créant des associations provinciales, locales et fédérales.
Il y a encore du boulot pour renverser les idées reçues.