Marie Sabine Roger : Le quatrième soupirail
Le quatrième soupirail de Marie Sabine Roger
Pedro avait seize ans, l’âge de sa fille aujourd’hui, lorsque son père a été emprisonné à San Marcos. Il en a quarante lorsqu’il revient. « Ni ses chagrins ni ses amours n’ont d’amnistie »
Pedro se souvient. Lorsque la jeep était arrivée, Liberto, son père lui avait ordonné de fuir, de se cacher dans le tas de bois. Frappé à coups de crosse dans les reins puis entrainé vers le véhicule, les volailles affolées par les rafales de mitraillettes, l’âne abattu d’une balle en pleine tête et la maison brulée. Pedro avait tout vu. Ni olvido, ni perdon. Ni oubli, ni pardon.
À cette époque, il y en a qui se battent en laissant leurs tripes, d’autres à coups de stylos comme Liberto, l’intello, le poète. Pedro le trouvait rasoir son vieux père avec sa politique, la junte il s’en foutait, il n’avait même pas le droit de vote. Pourtant inlassablement, Liberto lui expliquait :
— C’est une dictature tu comprends ! Personne n’a voté pour ceux qui nous gouvernent. Ils se sont imposés, au mépris de la démocratie. C’est contre ça qu’il faut se battre.
Après avoir tout perdu, Pedro est recueilli par Rafael, un résistant chargé de voler, saboter ou détruire du matériel militaire, des armes principalement. Sa compagne Nora, participe aussi au combat contre les fascistes. Rafael a deux doigts en moins suite aux maniements de ses premiers explosifs. Il devient un maître pour le jeune Pedro.
À San Marcos, on fait des exemples. Fusiller les résistants, c’est bien. Les torturer, c’est mieux… C’est pas parce qu’on se bouche le nez que ça sent moins la merde ! explique –t-il.
Liberto était un non violent qui donnait des mots à la révolte, mais pas d’arme pour la nourrir. Il cherchait des textes, les imprimait, les diffusait. Pour lui, les mots visaient plus juste que les balles, et touchaient parfois plus profond.
Son père emprisonné, Pedro réalise le poids du manque. Il remplace Maria à la prison où il est chargé d’espionner.
Tous les soirs, il retrouve son père en s’accroupissant près du quatrième soupirail de la prison. Il calme les inquiétudes de Liberto, avec des mots tranquilles, comme une paume fraîche apaise la fièvre sur la joue d’un enfant, frôle ses doigts, entre le fer rigide aux mailles trop serrées. Et surtout, il lui récite de la poésie. Poésie difficile à trouver puisque les bibliothèques ont été épurées, puisque tout ce qui parle de liberté, de révolution, de justice ou d’espoir a été supprimé.
Au cours de l’évasion de Liberto et Bretzal, Pedro est blessé. Très affaibli, son père meurt.
Encore un chef d’œuvre de Marie-Sabine Roger dont la plume acérée aborde le douloureux problème de la dictature en Amérique du Sud.